En normes comptables françaises, les actifs doivent être comptabilisés en appliquant la méthode du coût historique, à savoir l’ensemble des coûts encourus pour mettre l’immobilisation en état de fonctionnement (article L123-18 du Code de commerce). L’article L123-18 porte également sur la nécessité de déprécier comptablement les immobilisations dès survenance d’un évènement permettant de déterminer une perte de valeur, et à l’inverse, de ne pas comptabiliser la plus-value constatée sur un élément d’actif, ceci dans le respect du principe de prudence.
Il existe cependant une exception à cette mesure qui est la réévaluation libre de ces immobilisations (également appelée réévaluation libre des actifs immobilisés), mesure qui existe depuis 1984 (Article L123-18 du code de commerce et 214-27 du Plan Comptable Général). Cette option a été actualisée en début d’année 2021 par suite d’aménagements dans la loi de Finance 2021.
Réévaluation des actifs : rappel des principes
Le principe de cette réévaluation est très simple et consiste à apporter des « ajustements de valeur portant sur l’ensemble des immobilisations corporelles et financières » (article 214-27 du Plan Comptable Général (PCG)). Les nouvelles valeurs déterminées viennent « remplacer » les valeurs historiques présentes dans les comptes. Concrètement, le coût historique est remplacé par la valeur d’utilité du bien qui s’apprécie notamment par rapport :
- aux valeurs de marché ;
- à la valeur d’entrée multipliée par un indice de prix spécifique ;
- à la valeur d’entrée recalculée par rapport à un indice de variation de prix.
L’écart de réévaluation est comptabilisé dans les capitaux propres, sans impacter le résultat comptable, mais est en revanche immédiatement imposable fiscalement. C’est pour cette raison qu’en l’état actuel des textes, il avantage surtout les entreprises qui ont des déficits reportables. Il ne peut en effet permettre de compenser les pertes fiscales sur un exercice donné.
Concrètement l’application de cette option nécessite la réévaluation de tous les actifs immobilisés, corporels et financiers en excluant la réévaluation des éléments immatériels ou incorporels déjà valorisés ou non au bilan. La réévaluation ne peut concerner un actif isolé choisi par la société.
L’application de cette option est libre et peut être réutilisée autant de fois que voulue par une société. Il faut alors faire réévaluer l’ensemble de ses immobilisations à chaque opération ce qui peut s’avérer coûteux (temps à recenser et réévaluer les immobilisations, intervention d’experts en évaluation ou d’experts immobiliers…) et éventuellement inefficace si la Société doit également reconnaître des moins-values sur certaines immobilisations qui pourraient compenser les plus-values constatées sur d’autres.
À noter, qu’une fois la réévaluation constatée, les amortissements à réaliser par la suite doivent être recalculés pour être en cohérence avec les nouvelles valeurs retenues. Un nouveau plan de dotations aux amortissements est donc à mettre en place de manière prospective, sur la durée restante et au taux d’amortissement pratiqué avant la réévaluation, ce qui aura pour effet d’augmenter la charge d’amortissement future en cas de réévaluation à la hausse.
Intérêt comptable
Comme vu précédemment, cette réévaluation va permettre d’afficher au bilan des valeurs actualisées concernant les immobilisations corporelles et financières. L’intérêt est alors clairement de faire apparaitre des immobilisations plus conséquentes et donc en quelques sorte d’actualiser la valeur de l’entreprise et de ses biens dans la présentation comptable ; et en contrepartie cette réévaluation vient augmenter les capitaux propres.
Deux exemples nous permettent de mieux comprendre le schéma :
- La société A a acheté en centre-ville de Nantes un bien immobilier pour une valeur de 100 en 1995. La valeur du bâtiment a été déterminée à 60, amorti sur 20 ans et donc à valeur résiduelle nulle depuis 2015, tandis que la valeur du terrain est déterminée à 40 (100 – 60). On peut imaginer que 25 ans après, non seulement le terrain en tant que tel a pris une valeur forte mais le bâtiment, bien qu’amorti, bénéficie toujours d’une valeur intrinsèque non négligeable.
- La société B a créé en 2005 une société C avec un capital social de 5 000 euros : cette valeur de 5 000 euros est donc la valeur comptable retenue pour la valeur des titres de participation de la société C. Si cette Société C a fortement cru et a créé de la valeur, on peut s’attendre à ce que la valeur des titres soit fortement supérieure. Si ces derniers représentent 15 000 euros, la société B reconnaîtra alors 15 000 euros de valeur de titres (au lieu de 5 000 euros) à l’actif du bilan et en contrepartie, une augmentation de ses capitaux propres de 10 000 euros (15 000-5 000).
Dans ces deux cas la réévaluation libre des actifs immobilisés va permettre de faire apparaître au bilan des valeurs plus proches de la réalité économique. La contrepartie sera portée sur une ligne dédiée au passif dans la liasse fiscale : « Écart de Réévaluation » (ligne DC). Il sera par la suite possible lors d’une décision d’assemblée générale de reconnaitre une augmentation de capital par incorporation des écarts de réévaluation dans le capital social. L’attribution de cette augmentation de capital se fait dans ce cas au profit des associés existants, en due proportion de leurs quote-part de détention du capital social avant incorporation des écarts de réévaluation.
Intérêt fiscal
Bien que cet écart de réévaluation ne passe pas par le compte de résultat, il n’en demeure pas moins que cette réévaluation donne lieu à une fiscalité. Extra comptablement, un produit fiscalisable va alors être reconnu.
Avant la loi de finances 2021, la plus-value reconnue était immédiatement imposable, tant au niveau des impôts locaux, qu’au niveau de l’IS : les impôts dont l’assiette est basée sur la valeur des actifs ou des immobilisations prennent immédiatement en considération les nouvelles valeurs, tandis qu’au niveau de l’impôt sur les sociétés, la plus-value en tant que telle est taxée comme un revenu.
L’option offerte dans la loi de finances pour 2021 (LOFL 2021) est le suivant : « L’entreprise qui procède à une réévaluation d’ensemble des immobilisations corporelles et financières (…) peut ne pas prendre en compte l’écart de réévaluation qu’elle constate pour la détermination du résultat imposable de l’exercice au titre duquel elle procède à cette réévaluation » (Loi de Finance 2021 – article 31), cependant l’entreprise devra :
- Pour les immobilisations non amortissables, elle devra calculer la plus-value ou moins-value éventuelle lors d’une cession future en prenant en considération la valeur non-réévaluée.
- Et pour les immobilisations amortissables, l’écart de réévaluation devra être réintégré dans le résultat imposable par quinzième sur les quinze prochains exercices pour la réévaluation des biens immobiliers et constructions, et sur une durée de cinq ans pour les autres immobilisations.
La LOLF 2021 offre donc l’opportunité d’étaler ou de reporter ces écarts de réévaluation mais cette option n’est valable que sous condition que cette réévaluation soit réalisée au cours des exercices clos entre le 31 décembre 2020 et le 31 décembre 2022 et que ce soit la première fois que la Société réalise une réévaluation des actifs.
Fiscalement, cette option fiscale offerte par la loi de finance 2021 permet donc de reconnaitre une plus-value immédiatement dans les capitaux propres tout en étalant la charge fiscale sur la plus-value sur une durée de 15 ans (ou 5 ans pour les immobilisations hors immobilier) ou nette d’imposition pour les biens non amortissables.
Fiscalement, l’addition par 5eme ou 15eme de la plus-value de réévaluation impactera les exercices suivants mais sera compensée par les amortissements plus conséquents calculés sur la nouvelle valeur à amortir de l’immobilisation. Il est par ailleurs précisé que l’application de cette option n’empêchera pas en cas de besoin de déprécier par la suite les immobilisations ayant bénéficié d’une réévaluation.
Perspectives stratégiques
Quelles sont les perspectives et l’intérêt stratégique d’une telle opération ? Outre la reconnaissance de valeurs comptables plus significatives, cette option offre aux entreprises la possibilité de renforcer leurs fonds propres ce qui permet par ricochet d’accroître le financement possible auprès des banques. Ces dernières prennent en effet en compte un ratio d’endettement (équivalent à la formules dettes financières rapporté aux capitaux propres). Augmenter les fonds propres revient donc à s’autoriser un accroissement potentiel de l’endettement.
Et impacts sur la politique sociale
Une autre perspective à étudier concerne la réserve de participation pour les sociétés concernées. Pour rappel, le calcul de la réserve de participation à distribuer aux salariés est basée sur le résultat fiscal de la société mais aussi sur le montant des capitaux propres (la formule de la réserve de participation est : réserve de participation = ½ (B -5% C) x (S/VA) avec B= Bénéfice fiscal ; C= Capitaux Propres ; S= salaires bruts et VA= valeur ajoutée.).
Cette reconnaissance d’une plus-value des immobilisations incorporelles et financières dans le résultat fiscal, compensé par des amortissements plus conséquents va donc avoir un impact sur le bénéfice net fiscal. De surcroit la réévaluation va avoir un impact sur les capitaux propres : Il conviendra d’analyser donc l’impact de la réévaluation sur le montant de la réserve de participation à verser à ses salariés. Une analyse au cas par cas est donc essentielle pour valider les impacts possibles.
Exemple :
La société détient deux biens : un terrain et un immeuble. Les valeurs d’acquisitions et valeurs réévaluées sont renseignées ci-dessous :
Valeur comptable | Valeur actualisée | Plus-value à reconnaitre | Écart de réévaluation (capitaux propres) | Durée d’amortissement résiduelle | Impact sur dotations futures | |
---|---|---|---|---|---|---|
Terrains | 1000 | 2000 | 1000 | N/A | ||
Bâtiments | 100 | 150 | 50 | 10 ans | +5 (50 complémentaires à amortir sur 10 ans) | |
Écart de réévaluation (capitaux propres) | 1050 | N/A |
Impact sur la participation : le résultat fiscal va s’accroitre annuellement de 3,33 (50 /15 ans) sur les 15 prochaines années et en parallèle diminuer de 5 annuellement (50/10 ans d’amortissement) sur les 10 prochaines années ce qui va avoir un impact à la baisse de la participation sur les 10 prochaines années.
Pour conclure…
L’option offerte par la loi de finance 2021 mérite une vraie analyse des impacts de son application pour appréhender l’ensemble des conséquences comptables, financières, fiscales mais également sociales. Un travail de réévaluation de ses actifs permettra de revaloriser le bilan (qui se rapprochera de la réalité économique de l’entreprise), d’augmenter ses capitaux propres et ses capacités d’endettement mais devra être réalisé en gardant à l’esprit les impacts fiscaux et sociaux éventuels de cette approche.
Enfin, il est à noter, à toutes fins utiles que le Conseil d’Etat a jugé en 2018 qu’une SCI qui n’est pas soumise à l’obligation de tenir une comptabilité commerciale pour la détermination des revenus imposables de ses associés (autrement dit une SCI à l’IR – impôt sur le revenu), ne peut se prévaloir des conséquences fiscales attachées à la réévaluation libre de ses actifs en matière d’amortissements (Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 19 septembre 2018, 409864).