La digitalisation de l’économie est un enjeu très actuel pour la majorité des entreprises, peu de secteurs échappant à la nécessité de repenser leurs modèles économiques et leurs processus pour s’adapter à l’évolution des usages. La crise sanitaire que nous traversons actuellement s’est révélée être un accélérateur puissant de cette dynamique de digitalisation, poussant notamment les petites entreprises à sauter rapidement le pas de la vente en ligne, mais également de plus grandes organisations à accélérer le calendrier de leurs projets digitaux afin d’assurer la continuité de leur service malgré les contraintes de confinements puis de restrictions de déplacements.

Cette accélération des projets digitaux a accru la demande auprès des développeurs et intégrateurs informatiques, dans un secteur marqué par une pénurie de talents. Ainsi, les entreprises ont pu solliciter des prestataires informatiques de qualité inégale, certains prestataires ne disposant pas de l’expertise nécessaire ou sous-estimant la complexité des projets à mener. D’autres entreprises n’ont pas dégagé le temps nécessaire pour exprimer clairement leurs besoins, contribuer aux ateliers de cadrage ou encore pour s’assurer de la conformité des développements à leurs besoins avant de prendre réception du logiciel ou du site web commandé.

Pour ces différentes raisons, ou d’autres encore, les projets digitaux ne rencontrent pas tous le succès initialement escompté et peuvent donner lieu à des contentieux entre l’entreprise utilisatrice et son prestataire de services ou son éditeur de logiciels. Nous nous intéresserons dans cet article à la question délicate de l’évaluation de l’impact financier du préjudice informatique, plus particulièrement du point de vue de l’entreprise utilisatrice.

Appréciation, au cas par cas, de l’écart entre deux situations

L’évaluation de cet impact nécessite d’apprécier la différence entre (i) la situation dans laquelle se trouverait l’entreprise en cas de déroulement normal du projet et (ii) la situation d’échec du projet informatique à l’origine du contentieux.

L’appréciation de cet écart sera différente selon que le préjudice porte sur un système informatique qui génère des revenus (site e-commerce par exemple) ou qui n’en génère pas directement (logiciel de suivi des stocks par exemple). De plus, cette appréciation nécessite de tenir compte de la temporalité du préjudice : doivent être analysés les surcoûts supportés ou revenus non générés dans le passé mais aussi dans le futur, jusqu’au retour à une situation normale.

Enfin, cette appréciation doit être réalisée en tenant compte de l’attitude de l’entreprise qui peut alternativement (i) tenter de résoudre le problème rencontré sur le nouveau système, (ii) revenir au système antérieur ou encore (iii) poursuivre l’utilisation du système défectueux, dans un mode dégradé par rapport à l’utilisation cible initialement définie.

Les principales typologies de conséquences financières

L’évaluation financière d’un préjudice informatique nécessite d’analyser les conséquences réelles d’un échec de projet informatique, chaque situation étant unique. Par expérience, différentes typologies de conséquences financières sont bien souvent constatées en cas d’échec de projet informatique :

  • Coûts externes du prestataire, correspondant aux honoraires du prestataire avec qui le contentieux est né ;
  • Coûts externes hors prestataire mis en cause, correspondant aux coûts relatifs à l’intervention d’autres professionnels pour la réalisation du projet, mais également aux coûts des licences logicielles souscrites ou encore des investissements matériels consentis ;
  • Coûts internes : il s’agit essentiellement des coûts liés au personnel de la société, mobilisé dans le cadre du projet ;
  • Gains manqués : ils correspondent à la marge additionnelle qu’aurait permis le déploiement de la solution (ex : site e-commerce) ou aux gains de productivité attendus du projet (ex : logiciel de gestion des stocks).

Les points d’attention dans l’étude des préjudices

Ces différents postes doivent être analysés par différence entre les impacts attendus d’un déroulement « normal » du projet digital (tant en termes de coûts prévisionnels que de gains escomptés) et l’incidence de l’échec du projet en fonction de l’attitude de l’entreprise victime (poursuite du projet avec un autre prestataire, retour à la solution antérieure, …).

Cette analyse implique notamment de s’interroger sur les livrables éventuellement réutilisables dans le cadre de la poursuite du projet avec un autre prestataire informatique. Doit également être vérifié le lien de causalité entre les coûts d’intervention de prestataires tiers et le projet en échec (assistance à l’élaboration du cahier des charges du projet versus prestation d’infogérance globale) afin d’isoler la quote-part des dépenses attribuable au projet litigieux.

L’analyse des coûts internes nécessite de s’interroger sur l’incidence de la sur-mobilisation du personnel de l’entreprise sur le projet (au-delà du niveau d’implication normal dans un projet de ce type) : au détriment de quelles tâches le surcroît de mobilisation du personnel a-t-il été réalisé ?

La mesure des gains manqués nécessite de s’interroger sur la période concernée par cette perte d’opportunité : à partir de quelle date les gains de productivité étaient attendus ? A quelle date la résolution des problèmes rencontrés permettra d’atteindre ces gains attendus ?

Une attention particulière doit être apportée à éviter de réclamer deux fois l’indemnisation du même préjudice. A titre d’exemple, ne peuvent être réclamés à la fois la totalité du coût d’intervention du prestataire et les gains manqués. Car les gains escomptés du projet sont envisageables seulement dans la perspective où l’entreprise investissait dans le projet le montant des honoraires convenus initialement avec le prestataire. En revanche, un surcoût de la prestation ou une moindre performance de la solution livrée en raison de dysfonctionnements est constitutive d’un préjudice pour l’entreprise utilisatrice.

En synthèse

L’évaluation de l’impact financier d’un préjudice informatique nécessite avant tout une approche pragmatique, afin d’identifier les impacts concrets du projet informatique en échec par rapport à son incidence attendue par les parties dans le cadre d’un déroulement normal.

Cette évaluation doit être menée en visant à replacer l’entreprise utilisatrice dans la situation économique dans laquelle elle se serait trouvée si le déroulement du projet avait été conforme aux anticipations des parties. Ceci afin que soit réparé tout le préjudice, mais rien que le préjudice.

L’intervention d’un tiers évaluateur spécialisé en la matière permet d’éviter de tomber dans les écueils de cet exercice et de maximiser ses chances d’obtenir une réparation à la hauteur des enjeux que représente le projet informatique pour l’entreprise. 

Article publié dans l’Informateur Judiciaire – n°7082 – 11 février 2022

Article publié dans la revue Expertises des systèmes d’information – Mai 2022

Article corédigé avec Solvoxia Avocats – n°7121 de l’Informateur Judiciaire – 11 novembre 2022