Le 6 juillet 2021, notre associé Samuel VERGER a contribué à une table ronde réunissant avocats en droit social, en droit commercial, huissier de justice, expert financier, enquêteur privé et expert informatique afin de sensibiliser les entreprises et leurs dirigeants sur les moyens de prévention et d’action pour faire face à la déloyauté. Retour sur les questions financières abordées.

Quels sont les signes et indices d’un comportement déloyal ? Qu’est-ce qui peut donner l’alerte ?

Chaque situation est unique et les indices peuvent être assez différents d’un cas à l’autre, néanmoins d’expérience, la déloyauté s’organise souvent avec une phase préparatoire durant laquelle le salarié déloyal, encore en poste :

  • Prépare son installation en utilisant à son profit les moyens de l’entreprise pour constituer son projet d’entreprise (relations clients, fournisseurs, équipe, savoir-faire, fichiers, outil industriel, …)
  • Puis désorganise sciemment l’entreprise avant de la quitter (mécontentement des clients, insatisfaction des équipes…)
  • Créée ou rejoint une entreprise concurrente, profitant du désordre causé avant son départ pour se poser en solution naturelle pour les clients, les collaborateurs, et les fournisseurs de l’entreprise désorganisée, favorisant un démarrage rapide de l’activité de la nouvelle société et son installation dans le paysage concurrentiel.

Des évènements inhabituels dans l’entreprise peuvent alerter le dirigeant, correspondant aux étapes préparatoires à l’installation de l’entreprise concurrente : démissions en cascade, démissions concomitantes de plusieurs collaborateurs expérimentés, détérioration de l’ambiance au sein des équipes, relations qui se tendent avec les clients, constitution de stocks sans rapport avec les besoins de l’entreprise, rupture de la relation commerciale avec des clients de longue date, appels/emails de fournisseurs concernant des commandes inconnues, perte d’appels d’offre, disparition de fichiers informatiques du réseau de l’entreprise, hausse des retours clientèle sur des malfaçons, etc. 

Quels sont les effets d’un comportement déloyal sur l’entreprise ? Quels sont les impacts économiques et opérationnels ?

L’action déloyale d’un salarié implique souvent une désorganisation de l’entreprise victime qui nécessite : d’engager des actions de remédiation, décidées dans l’urgence, pour faire face à la perte de compétences que cause généralement des départs en nombre des sachants de l’entreprise, à la perte de confiance des clients et des fournisseurs. Ceci peut passer par le recours à des prestataires externes pour compenser les collaborateurs partis, à de la sous-traitance de production, … mais avant tout à la mobilisation des moyens internes de l’entreprise, en dépriorisant les projets de long terme pour faire face aux dysfonctionnements dont la résolution est urgente et éventuellement en ayant recours à des heures supplémentaires.

L’action déloyale va également causer, de manière systématique, une chute soudaine et brutale du chiffre d’affaires, avec une partie de la clientèle qui va se détourner de l’entreprise. Parfois également des fournisseurs peuvent se rendre complices et participer à la constitution ou au renforcement de la société concurrente, le cas échéant au mépris de leurs engagements d’exclusivité et de confidentialité.

Comment évaluer le préjudice subi par l’entreprise ?

Rappelons tout d’abord que la réparation du préjudice consiste à replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée en l’absence du fait dommageable (la déloyauté). Pour obtenir réparation de son préjudice, l’entreprise victime va devoir apporter la preuve de son préjudice. Les moyens de démontrer le préjudice subi sont nombreux mais la démonstration est exigeante pour emporter la conviction du juge, de sorte qu’il est précieux de mobiliser au maximum la documentation écrite de l’entreprise victime.

La mesure du préjudice ne peut être forfaitaire, elle doit être réalisée au plus près de la réalité économique de l’entreprise. C’est pourquoi il est précieux d’expliquer au juge le modèle économique de l’entreprise et l’effet de la déloyauté sur celui-ci, en quoi les actes reprochés ont « abimé » ce modèle économique, jusqu’à parfois mettre en péril la pérennité de l’entreprise.

Le préjudice est généralement constitué :

  • de surcoûts supportés (surcroît de recours à l’intérim, à la sous-traitance, coûts de recrutement et de formation de l’équipe qui va remplacer les collaborateurs débauchés),
  • mais aussi de gains manqués (correspondant au chiffre d’affaires qui n’a pas été réalisé, diminué des coûts qu’il aurait été nécessaire d’engager pour réaliser ce chiffre d’affaires additionnel)
  • ou encore de la perte d’une chance (ex: entreprise privée de la possibilité de concourir à un appel d’offres, de lancer un nouveau produit, d’obtenir un financement, de finaliser un projet de croissance externe).

Concernant les surcoûts, il faut savoir que le juge est plus enclin à indemniser les dépenses externes que les moyens internes mis en œuvre. Par conséquent, il est important, durant la période de désorganisation, de documenter tant que possible les décisions prises et les moyens consacrés.

L’analyse des fiches de temps des équipes mobilisées est souvent d’une aide précieuse pour prouver aussi bien (i) un surcroît de travail pour reconstituer des fichiers informatiques, résoudre des malfaçons identifiées par les clients (ii) qu’une sous-activité des équipes qui auraient été en capacité de traiter des commandes supplémentaires si les clients n’avaient pas été systématiquement démarchés par le concurrent indélicat.

La sollicitation d’un prestataire externe pour assurer une gestion de crise externalisée peut également être intéressante, a minima afin de disposer d’un devis qui permette de donner un « prix de marché » des tâches qui ont été bien souvent absorbées par l’entreprise.

Concernant les gains manqués, la mesure du préjudice nécessite de s’appuyer sur la comptabilité de l’entreprise, mais également dans la mesure du possible sur les outils de pilotage financier de l’entreprise (budgets prévisionnels, carnet de commandes, comptabilité analytique, tableaux de bord, …), sur les éléments de pilotage opérationnel (feuilles de temps, calendriers prévisionnels de production, …) et sur les constats de l’huissier.

Ces derniers sont particulièrement précieux pour démontrer que les échanges entre le salarié déloyal et les clients ont causé une dégradation particulièrement nette de la relation commerciale et une chute importante du chiffre d’affaires ;

Une analyse globale de l’évolution du chiffre d’affaires au regard du marché, du budget, de l’historique, … permet quant à elle de mesurer l’entièreté du gain manqué.

Pour résumer :

La déloyauté d’un salarié peut avoir une incidence considérable sur l’entreprise, qui peut aller jusqu’à causer sa disparition. Mais des signaux faibles existent et peuvent alerter le dirigeant avant qu’il ne soit trop tard pour réagir. La mobilisation des forces vives de l’entreprise et d’une brigade d’experts (avocats, expert financier, huissier, …), habitués à travailler en collaboration étroite, peut apporter une aide précieuse pour traverser cette période houleuse afin de prendre les bonnes décisions en temps utile.